Voyage to Cythera
The Embarkation for Cythera (1717, Jean-Antoine Watteau) |
Un Voyage à Cythère
Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux
Et planait librement à l'entour des cordages;
Le navire roulait sous un ciel sans nuages;
Comme un ange enivré d'un soleil radieux.
Le navire roulait sous un ciel sans nuages;
Comme un ange enivré d'un soleil radieux.
Quelle est cette île triste et noire?—C'est Cythère,
Nous dit-on, un pays fameux dans les chansons
Eldorado banal de tous les vieux garçons.
Regardez, après tout, c'est une pauvre terre.
—Île des doux secrets et des fêtes du coeur!
De l'antique Vénus le superbe fantôme
Au-dessus de tes mers plane comme un arôme
Et charge les esprits d'amour et de langueur.
Belle île aux myrtes verts, pleine de fleurs écloses,
Vénérée à jamais par toute nation,
Où les soupirs des coeurs en adoration
Roulent comme l'encens sur un jardin de roses
Ou le roucoulement éternel d'un ramier!
—Cythère n'était plus qu'un terrain des plus maigres,
Un désert rocailleux troublé par des cris aigres.
J'entrevoyais pourtant un objet singulier!
Ce n'était pas un temple aux ombres bocagères,
Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,
Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,
Entrebâillant sa robe aux brises passagères;
Mais voilà qu'en rasant la côte d'assez près
Pour troubler les oiseaux avec nos voiles blanches,
Nous vîmes que c'était un gibet à trois branches,
Du ciel se détachant en noir, comme un cyprès.
De féroces oiseaux perchés sur leur pâture
Détruisaient avec rage un pendu déjà mûr,
Chacun plantant, comme un outil, son bec impur
Dans tous les coins saignants de cette pourriture;
Les yeux étaient deux trous, et du ventre effondré
Les intestins pesants lui coulaient sur les cuisses,
Et ses bourreaux, gorgés de hideuses délices,
L'avaient à coups de bec absolument châtré.
Sous les pieds, un troupeau de jaloux quadrupèdes,
Le museau relevé, tournoyait et rôdait;
Une plus grande bête au milieu s'agitait
Comme un exécuteur entouré de ses aides.
Habitant de Cythère, enfant d'un ciel si beau,
Silencieusement tu souffrais ces insultes
En expiation de tes infâmes cultes
Et des péchés qui t'ont interdit le tombeau.
Ridicule pendu, tes douleurs sont les miennes!
Je sentis, à l'aspect de tes membres flottants,
Comme un vomissement, remonter vers mes dents
Le long fleuve de fiel des douleurs anciennes;
Devant toi, pauvre diable au souvenir si cher,
J'ai senti tous les becs et toutes les mâchoires
Des corbeaux lancinants et des panthères noires
Qui jadis aimaient tant à triturer ma chair.
—Le ciel était charmant, la mer était unie;
Pour moi tout était noir et sanglant désormais,
Hélas! et j'avais, comme en un suaire épais,
Le coeur enseveli dans cette allégorie.
Dans ton île, ô Vénus! je n'ai trouvé debout
Qu'un gibet symbolique où pendait mon image...
—Ah! Seigneur! donnez-moi la force et le courage
De contempler mon coeur et mon corps sans dégoût!
— Charles Baudelaire
The Lighthouse (2019, dir. Robert Eggers) |
Translation:
My heart, like a bird fluttering with joy,
Flitted with ease round the mast’s riggings.
This ship sailed forth beneath a cloudless sky,
Like an angel basking in the sun’s radiance.
What is this bleak and dreary island?
It’s Cythera, we are told, of the Eldorado
Legend and song, well known to old rakes.
Yet behold: it is but pitiful rock.
—O, isle of sweet secrets and love-feasts,
Where the shade of primordial Venus
Hovers above your waters, pouring
Potions of love and languor over us.
Fair isle of green myrtles, florid with flowers,
Venerated forever and everywhere by all nations,
Where sighs of adoration climb like incense
That perfume lovers in rose bowers,
Or echo like a dove’s incessant cooing!
—But Cythera was no more than meager land,
A rocky desolation vexed by shrill cries.
Yet there I glimmered a peculiar thing!
Not a temple under the shadow of groves,
Where a young priestess, her body in heat,
Enamored with flowers, would go,
Unpinning her robe half-open to the breeze.
But coming close to the edge of the coast
That we rattled the sea-fowl with our sails,
We saw a three-forked gibbet against the sky,
Black as the branches of a dead cypress.
Rapacious birds, perched on their meal,
Mangled with rage the ripe corpse of a man,
Stabbing with beaks like razor tools
The tender nooks of this dangling, bloody rot.
Eyes became holes, and from gutted bowels,
Entrails drooped and festooned his thighs.
His torturers, gorged with hideous delights,
Cut off what's left that made him a man.
Down below, four-footed beasts nipped at his feet,
Muzzles raised, prowling in circles for scraps.
The leader of the pack swaggered between them,
An executioner attended by lieutenants.
Citizen of Cythera, child of these cloudless climes,
In dumb silence, you have propitiated
With these assaults the infamy of your cults,
And the sins that now rob you of a tomb’s peace.
Grotesque creature, your travails are also mine!
The sight of your loose limbs makes the vomit
Swell from the pit of my stomach to my teeth,
A bitter river foaming from archaic pains.
Before you, poor devil, a memory returns:
Where I endure the black crows’ stabbing beaks,
And the black panthers’ mauling jaws,
Who once relished threshing my flesh to pulp.
—The sea was calm, the skies cloudless,
But now, everything turned black and bloody,
Hell! My heart is buried in this allegory
Like a mourning shroud enclosing upon me.
O Venus! On your island I discover naught
But this symbol of a gibbet on which hang my image.
Dear Lord! Pray, give me strength and courage
To regard this heart and body without horror!
(Cambridge, MA, 2022)
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